Esthetique et politique

« La tendance d’une œuvre politique ne peut fonctionner que si elle fonctionne littérairement aussi »[1]

« Une exigence s’impose à l’écrivain, l’exigence de méditer, de réfléchir à sa position dans le procès de production. »[2]

« Comment une œuvre se situe-t-elle face aux rapports de production de l’époque ? Est-elle en accord avec eux, est-elle réactionnaire, ou s’efforce-t-elle de les subvertir, est-elle révolutionnaire ? […] Comment se pose-t-elle en eux ? Cette question-là vise directement la fonction que l’œuvre assume à l’intérieur des rapports de production littéraires d’une époque. Elle vise en d’autres termes directement la technique littéraire des œuvres. »[3]

« Les oppositions ”regarder/ savoir”, ”apparence/ réalité”, ”activité/passivité” sont tout autre chose que des oppositions logiques entre des termes bien définis. Elles définissent proprement un partage du sensible, une distribution a priori des positions et des capacités et incapacités attachés à ces positions. »[4]

« La tendance politique, aussi révolutionnaire qu’elle puisse paraître, fonctionne de manière contre-révolutionnaire tant que l’écrivain éprouve sa solidarité avec le prolétariat uniquement dans l’ordre de la conviction, mais non point en tant que producteur. »[5]

« Le problème n’est pas d’opposer la réalité à ses apparences. Il est de construire d’autres réalités d’autres formes de sens commun c’est-à-dire d’autres dispositifs spatio-temporels, d’autres communautés des mots et des choses, des formes et des significations. »[6]

« Un art critique est un art qui sait que son effet politique passe par la distance esthétique. Il sait que cet effet ne peut être garanti, qu’il comporte toujours une part d’indécidable. Mais il y a deux manière de penser cet indécidable et de faire œuvre avec lui. Il y a celle qui le considère comme un état du monde où les opposés s’équivalent et fait de la démonstration de cette équivalence l’occasion d’une nouvelle virtuosité artistique. Et il y a celle qui y reconnaît l’entrelacement de plusieurs politiques, donne des figures nouvelles à cet entrelacement, en explore les tensions et déplace ainsi l’équilibre des possibles et la distribution des capacités. »[7]

« L’émancipation, elle, commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles- mêmes à la structure de la domination et de la sujétion. Elle commence quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions. »[8]


  1. Walter BENJAMIN, L’auteur comme producteur, 1934, dans Essais sur Brecht, Paris, La fabrique, 2003, p123

  2. Walter BENJAMIN, L’auteur comme producteur, 1934, dans Essais sur Brecht, Paris, La fabrique, 2003, p142

  3. Walter BENJAMIN, L’auteur comme producteur, 1934, dans Essais sur Brecht, Paris, La fabrique, 2003, p125

  4. Jacques RANCIÈRE, Le spectateur émancipé, Paris, La fabrique, 2008, p18

  5. Walter BENJAMIN, L’auteur comme producteur, 1934, dans Essais sur Brecht, Paris, La fabrique, 2003, p129

  6. Jacques RANCIÈRE, Le spectateur émancipé, Paris, La fabrique, 2008, p111-112

  7. Jacques RANCIÈRE, Le spectateur émancipé, Paris, La fabrique, 2008, p91-92

  8. Jacques RANCIÈRE, Le spectateur émancipé, Paris, La fabrique, 2008, p19