Luttes des classes

« Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. »[1]

« La sphère publique est une sphère de rencontre et de conflit entre les deux logiques opposées de la police et de la politique, du gouvernement naturel des compétences sociales et du gouvernement de n’importe qui. La pratique spontanée de tout gouvernement tend à rétrécir cette sphère publique, à en faire son affaire privée et, pour cela, à rejeter du coté de la vie privée les interventions et les lieux d’intervention des acteurs non-étatiques. La démocratie alors est le processus de lutte contre cette privatisation, le processus d’élargissement de cette sphère. »[2]

« Les droits d’associations, de réunion et de manifestation permettent l’organisation d’une vie démocratique, c’est-à-dire d’une vie politique indépendante de la sphère étatique. Permettre est évidemment un mot équivoque. Ces libertés ne sont pas un don des oligarques. Elles ont été gagnées par l’action démocratique et elles ne gardent leur effectivité que par cette action. »[3]

« La déclaration du droit à la liberté devient l’exercice de cette liberté. »[4]

« Aujourd’hui encore, qu’est- ce qui permet au penseur de mépriser l’intelligence de l’ouvrier sinon le mépris de l’ouvrier pour le paysan, du paysan pour sa femme, de la femme pour la femme du voisin, et ainsi à l’infini. »[5]

« Le devoir des disciples de Joseph Jacotot est donc simple. Il faut annoncer à tous, en tout lieu et en toute circonstance, la nouvelle : on peut enseigner ce qu’on ignore. […] Il faut donner le principe de cette instruction : toutes les intelligences sont égales. […] Voilà ce qu’il faut faire, en sachant que la connaissance de Télémaque ou de toute autre chose est en elle-même indifférente. Le problème n’est pas de faire des savants. Il est de relever ceux qui se croient inférieurs en intelligence, de les sortir du marais où ils croupissent: non pas celui de l’ignorance, mais celui du mépris de soi, du mépris en soi de la créature raisonnable. Il est de faire des hommes émancipés et émancipateurs. »[6]

« La leçon émancipatrice de l’artiste, opposée terme à terme à la leçon abrutissante du professeur, est celle-ci : chacun de nous est artiste dans la mesure où il effectue une double démarche; il ne se contente pas d’être homme de métier mais veut faire de tout travail un moyen d’expression; il ne se contente de ressentir mais cherche à partager. L’artiste a besoin de l’égalité comme l’explicateur a besoin de l’inégalité. Et il dessine ainsi une société raisonnable où cela même qui est extérieur à la raison – la matière, les signes du langage – est traversé par la volonté raisonnable : celle de raconter et de faire éprouver aux autres ce en quoi on est semblable à eux. »[7]

« L’émancipation est la sortie d’une situation de minorité. Mineur est celui qui a besoin d’être guidé pour ne pas risquer de s’égarer en suivant son propre sens de l’orientation. »[8]

« Les formes contemporaines du capitalisme, l’éclatement du marché du travail, la précarité nouvelle et la destruction des systèmes de solidarité sociale créent aujourd’hui des formes de vie et des expériences du travail souvent plus proches de celles des prolétaires du XIXème siècle que de l’univers de techniciens high-tech ou du règne mondial d’une petite-bourgeoisie adonnée au culte frénétique de la consommation décrit par tant de sociologues. »[9]

« A cette logique inégalitaire, la pensée de l’émancipation oppose un principe égalitaire défini par deux axiomes: premièrement, l’égalité n’est pas un but à atteindre; elle est un point de départ, une présupposition qui ouvre le champ d’une possible vérification. Deuxièmement, l’intelligence est une. Il n’y a pas l’intelligence du maître et l’intelligence de l’élève, l’intelligence du législateur et celle de l’artisan, etc. »[10]


  1. Karl MARX et Friedrich ENGELS, Manifeste du parti communiste, London, 1848

  2. Jacques RANCIÈRE, La haine de la démocratie, Paris, éd. La fabrique, Paris,2005, p62

  3. Jacques RANCIÈRE, La haine de la démocratie, Paris, éd. La fabrique, Paris,2005, p82

  4. Judith BUTLER, Gayatri Chakravorty SPIVAK, L’État global, Paris, Payot et Rivages, 2007, p48

  5. Jacques RANCIÈRE, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987, p145

  6. Jacques RANCIÈRE, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987, p168

  7. Jacques RANCIÈRE, Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987, p120

  8. Jacques RANCIÈRE, « Communistes sans communisme ? » dans L’idéedu communisme, conférence de Londres, 2009, collectif, dirigé par Alain BADIOU et Slavoj ŽIŽEK, Paris, Lignes, 2010, p232

  9. Jacques RANCIÈRE, « Communistes sans communisme ? » dans L’idéedu communisme, conférence de Londres, 2009, collectif, dirigé par Alain BADIOU et Slavoj ŽIŽEK, Paris, Lignes, 2010, p243

  10. Jacques RANCIÈRE, « Communistes sans communisme ? » dans L’idéedu communisme, conférence de Londres, 2009, collectif, dirigé par Alain BADIOU et Slavoj ŽIŽEK, Paris, Lignes, 2010, p232